PERLE DES VAGUES ET NOUS
AUDIERNE
Préface.
Le lecteur trouvera, dans ce petit opuscule, le récit d'un étonnant voyage en mer. Une famille française, guidée par Dieu, ainsi que le fut Abraham, a quitté son pays et ses amis pour s'installer dans un pays exotique sans y avoir de point de chute ni aucune assurance de s'y faire une vie normale.
Elle a acheté un bateau de pêche, y a chargé tous ses biens et entreprit de traverser l'Atlantique pour se rendre à Cayenne en Guyane.
Le récit du voyage est écrit par Esther la mère, Ray est le surnom du père. Les 6 enfants, six filles, de 4 à 22 ans ont participées au voyage, au cours duquel les plus âgées ont été d'une aide efficace et indispensable.
Il très réconfortant de lire combien l'amour et la fidélité de Dieu, ainsi que sa sollicitude paternelle ont été effectives au cours de ce voyage, et comment il a tout préparé pour leur avenir.
E.B.
4 juin 1968
Voilà déjà 4 jours que nous vivons sur notre bateau. Il est cinq heures de l'après-midi. Une grande marmite pleine de pommes de terre et de carottes, assaisonnées de thym est sur le réchaud à gaz. Quand tout sera cuit nous y ajouterons une boite de petits pois, ce qui donnera un repas reconstituant pour calmer la faim de l'équipage. Toutes ont grand faim, non seulement l'air marin qui attise l'appétit, mais surtout à cause du dur et inhabituel travail de nettoyage, de peinture, de rangements, et de leur active et très efficace participation à l'aménagement du bateau.
Ray a apporté des planches et des liteaux qu'il a cloués aux cloisons de la cuisine pour y ranger les assiettes, tasses, couverts, tout ce dont on a besoin pour cuisiner, en prévision des balancements du bateau.
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Ray est un infatigable inventeur, il trouve toujours une solution pour tout ce qui me pose un problème, en assignant à chaque chose la place exacte de son rangement. C'est ainsi qu'il a fixé deux barres de fer autour du réchaud, ainsi poêles, marmites et casseroles seront maintenues quand la mer sera agitée. De même il a fixé une autre barre de façon à ce que celle qui est en charge de cuisine puisse se maintenir quand nous serons en mer.
7 Juin
Il y a deux jours, Monsieur H. un homme très aimable, est venu à bord pour nous dire que nous pouvons prendre de l'eau dans la fontaine de son usine, que sa maison est juste en face de notre bateau, et que nous pouvons chercher autant d'eau que nous voulons y compris de rincer notre linge. Nous y voyons la main du Seigneur. Monsieur H. vient nous voir plusieurs fois par jour et parle avec nous comme si nous étions amis de longue date.
11 Juin
Nous sommes à Audierne depuis plus d'une semaine, et nous sommes déjà tous bronzés, tant par le soleil que par l'air marin. Ce que l'on remarque en premier lorsqu'on arrive d'une grande ville, est que les gens qui habitent ici, jeunes ou vieux, ont tous un teint halé qui embelli les visages vieillissants. Les pêcheurs ont même un air brun-rouge acquis au cours de leur vie en mer.
Aujourd'hui, dimanche, Ray et moi faisons une promenade. Nous avons confié aux filles: Flore, Sylvia, Lydia, Agnès, la garde du bateau, ainsi que la surveillance de Véronique et de Johelle. Nous allons le long des quais du port, et regardons chaque bateau avec beaucoup d'attention. Ce sont surtout des langoustiers, les thoniers sont en mer à cette époque. Nous espérons qu'ils reviendront tant que nous sommes encore là, ainsi nous pourrons préparer un bon repas de thon frais.
Nous arrivons enfin au grand pont métallique dont la chaussée est constituée de traverses en bois. Nous sommes au bout d'Audierne. Devant nous le môle, et derrière lui il n'y a que le ciel et la mer. Nous avions déjà senti, avant d'arriver à l'angle, le merveilleux air pur que l'on ne peut respirer qu'en pleine mer. Nous admirons les merveilleuses couleurs, bleu, bleu-turquoise qu'encadre au loin un bleu foncé. Le ciel se mire dans la mer et la mer se reflète dans le ciel. L'œil est insatiable de cette beauté. Qui a créé la mer et tout ce qu'elle contient, qui a créé le ciel et tout ce qui est dessous et au-dessus? Toi Seigneur.
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Un petit bateau de pêche rentre au port et passe devant nous. Un homme seul à bord. Il tient la barre et laisse derrière un long sillage. Malgré le bruit du moteur, nous sommes enveloppés d'un profond silence. Ces petits bateaux ne sortent en mer que pour une journée et reviennent généralement chargés d'une pêche abondante.
12 juin
Notre bateau a été baptisé "Perle des Vagues".
Photo
Il mesure 17 mètres de long, 5,80 mètres de large. Sa coque est en chêne et il a deux mâts. Il est constitué de cinq parties:
1. L'avant poste:
8 couchettes, 2 bancs et une table, et plus avant le puits de chaine.
2. La cale:
Une glacière d'environ 25 m3 qui est isolée qui peut charger quelques 18 tonnes de glace pour la conservation des poissons pendant les semaines de pêche.
3. L'espace propulsion:
le moteur de 120 chevaux, relativement neuf, un générateur d'électricité, un compresseur et les réservoirs de gazole d'une contenance totale de 5500 litres.
4. Poste arrière:
5 couchettes, la cambuse, 2 bancs et une table. Plus en arrière un réservoir de 1500 litres d'eau.
5. Le pont, où se trouvent le poste de pilotage, la cuisine et les toilettes.
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Tous les pêcheurs sont en admiration devant ce bateau et ne cessent de le vanter. Nous entendons de toutes parts qu’il a le moteur le plus propre de tout le port et qu'il se tient bien en mer.
Certains pensent que nous avons acheté ce bateau pour en faire un bateau de plaisance. La vérité est tout autre. Après que Ray ait été employé sept ans, cinq ans à Paris et les deux dernières années à Bruxelles, dans une entreprise internationale de produits chimiques, qui a décidé d'interrompre son activité et de licencier tout le personnel, donc le département de Ray qui avait fonction de planifier de nouvelles usines.... Il nous fallait quitter la Belgique et nous nous trouvions dans une situation difficile, d'autant plus qu'alors la France était totalement paralysée par les grèves (mai 1968).
Il nous vint alors l'idée d'acheter un bateau, non par passion de la mer ou pour effectuer des croisières, nous préférerions vivre paisiblement chez nous. Ce bateau sera notre gagne pain dans un pays où il y a peu de bateaux. Nous pensions à la Nouvelle Calédonie où nous avons vécu il y a 15 ans sur une des îles coralliennes, nommée Lifou, là, nous avons constaté que très peu de bateaux assuraient le transport vers la Grande Terre. Cette pénurie incitait à la surcharge, laquelle est à l'origine de naufrages dont l'un causa la mort de 140 personnes.
Une nuit Ray eut un songe : nous étions au milieu de l’Océan Atlantique et étions menacés par une tempête. Afin de l’éviter, nous virâmes plus au sud et finalement nous accostâmes en Guyane française.
La Guyane ? C’est le dernier pays auquel nous aurions pensé. Nous n’en avions jamais parlé et il nous était pratiquement inconnu.
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Si Dieu dirige notre attention vers ce pays, il a certainement une raison. Et même si nous ne la comprenons pas, nous irons quand même dans ce pays. Ne lui avions-nous pas demandé de nous guider? Mais est-ce réellement sa volonté? Nous ne voulions pas décider par nous-mêmes. C'est pourquoi Ray n’a pas hésité à se rendre en Allemagne afin de rencontrer un saint frère avec lequel nous étions en contact afin qu'il nous conseille selon l'esprit d'Urim et Thummim, tel que Christian Röckle l’écrit dans son fascicule n° 12 "Le Nouveau Temple de l’Eglise".
Le frère avec lequel Ray s’entretint dès le soir de son arrivée, estima que notre projet était valable et que rien ne semblait s’y opposer. Le lendemain matin, il revint et dit : " je te donne ma bénédiction pour cette entreprise et pour votre voyage en Guyane ".
Ray rentra à Bruxelles. La firme américaine nous octroya une indemnité de licenciement d'une importance telle que nous pûmes acheter le " Perle des Vagues ". De plus elle nous a remboursé notre déménagement, non pas jusqu’à Paris, d'où nous venions, mais jusqu’à Audierne.
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Aujourd’hui, il y a une grande marée. Un thonier, la coque peinte en vert, quitte à le port. Trois coups de sirène et il sort majestueusement avec ses longs tangons de chaque bord qui caractérisent les thoniers. Il part pour trois semaines comme le font tous les thoniers.
J'éprouve toujours un peu de nostalgie lorsque je vois partir un bateau. La vie sur terre et la vie en mer sont deux mondes différents, et lorsqu’un bateau a quitté le port, c’est une autre vie qui commence. Un vieux dicton me vient à l’esprit que j'ai appris, il y a quelques années, d’un très cher ami et barde breton:
Il y a
les vivants,
les morts,
et ceux
qui partent en mer.
Les goélands sont de nobles et très beaux oiseaux. Ils ont un bec jaune et leur plumage est blanc. Leurs ailes sont grises à l’intérieur et à l’extérieur, souvent avec points noirs à leurs extrémités. Leur queue a également un bord noir. Ils nous survolent avec de grands cris. Leurs yeux perçants aperçoivent les poissons sous l’eau. Ils planent et se laissent choir sur le sable encore mouillé. Ils sont impassibles, si leur corps est immobile, leurs yeux sont attentifs et leur tête, en perpétuel mouvement, épient tout ce qui les entoure. Je pourrais les observer pendant des heures sans m’ennuyer.
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Aujourd’hui samedi, avec Lydia, je vais au marché qui se tient sur une place triangulaire, dont un côté borde le port, il y a des étals jusque sur le quai. Bien qu’Audierne ne soit pas une grande ville, c’est pour moi une vraie joie de me balader dans un marché français après une étape de 2 ans à Bruxelles. La Bretagne, grâce à son climat tempéré et humide est le pays des meilleurs légumes, et particulièrement la culture du chou-fleur. Il n’y a nulle part ailleurs d’aussi beaux et aussi gros choux-fleurs. Pour deux francs j'achète le plus gros, celui dont le vendeur dit qu'il pèse cinq livres, cela suffira pour nous rassasier. A Bruxelles, ceux en provenance d’Italie étaient nettement plus petits.
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Plus loin, il y a un cageot avec ce qu'on appelle chez nous: "des navets jaunes", ici se sont des carottes. Elles sont si grandes et si grosses que souvent deux font la livre. Râpées crues, elles sont sucrées et juteuses. A la cuisson, elles donnent un jus doré et elles cuisent rapidement. Cuites entières avec du thon est une spécialité Bretonne.
Globalement ce marché est calme, sauf un marchand, bien placé dans un angle qui crie : "mangez des cerises, des beaux bigarreaux ! 3 francs le kilo! N’oubliez pas vos fraises : 2 francs la corbeille ! Avez-vous vu mes tomates ? 2.50 le kilo et 4 francs les 2 kilos ! Des belles tomates charnues, pour changer de menus ! Mangez des tomates ! "
Viens, dis-je à Lydia, achetons chez ce "hurleur", ses prix sont abordables.
Nous rions. Les cerises, les fraises et les tomates atterrissent notre petit charriot. Nous nous éloignons du "hurleur", sur son front la sueur perle et son visage est aussi rouge que ses tomates. Sur le chemin du retour, nous passons devant des artichauts, les énormes et célèbres artichauts bretons. Je crois qu'il n'en existe pas de plus beaux sur Terre. Ceux qui viennent d'Afrique, en hiver, paraissent chétifs à côté. Nous en achetons huit à 40 centimes pièce. Il est temps de rentrer, car notre charriot déborde.
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27 juin
De l'autre côté du port, juste à notre opposé, arrive un langoustier. Les marins tendent une grande bâche autour de la coque du bateau afin d'obstruer les trous qui laissent passer l'eau de mer dans les cales ou sont stockées les langoustes vivantes. Les cales peuvent alors être asséchées. Les langoustes sont mises dans des casiers et déchargées.
Je dis à Véronique: viens, nous allons voir ça de plus près. Nous rejoignons le quai d'un pas pressé. Nous entendons au loin le son du glas. A mi-chemin, insérées entre deux voitures en stationnement, nous regardons le cortège. Deux hommes marchent devant. Le premier porte une croix en fer couverte de décorations, laquelle semble très lourde, car ses épaules et sa veste sont tirés vers le bas, et à voir sa démarche, on peut s'imaginer qu'elle pèse 50 kilos. Ensuite s'avance le prête, homme grand et fort. Sur son habit noir il porte un vêtement blanc qui descend plus bas que la taille. Derrière lui vient le corbillard, lequel est suivit d'abord par les hommes, les femmes viennent ensuite. Chacun porte une corbeille de fleurs dans les bras, essentiellement des roses. Je trouve cela très émouvant et plus beau que dans mon pays, porter des fleurs pour le dernier voyage du mort est une meilleure preuve d'amitié que les accrocher à la voiture. Le glas ne cesse de sonner. Le cortège se ferme avec un groupe garçons et de filles.
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Lorsque nous arrivons enfin au langoustier, tout est terminé. Les marins sont affairés à tirer la bâche sur le quai. Nous n'avons vu aucune langouste, sinon des badauds qui se tiennent là et s'ennuient.
Ce bateau a pêché la langouste pendant quatre mois aux abords de la Mauritanie. Deux hommes attirent particulièrement mon attention. Ils se ressemblent, torse nu, cheveux et barbe noirs, des modèles de statues. Un des deux hommes saute du quai sur un gros pneu pare-battage, resaute sur le bastingage puis sur le pont. Il disparaît et réapparait bientôt dans un canot et s'éloigne en godillant. Le voyant ainsi je me souviens du marin décrit par Alexandre Dumas dans son roman "Le Comte de Monte Cristo ".
Sylvia lave la coque. Cela se fait à marée basse, elle mouille la coque et elle frotte avec un balai brosse, afin que toutes les algues et coquillages soient enlevés. C'est un travail fastidieux, les gouttes d'eau lui tombent sur la tête lorsqu'elle est tout en dessous.
Un vieux marin vient l'aider. Lorsqu'il en a assez, il dit en repartant : "le plus dur est fait maintenant". Il y a toujours des gens de bon cœur prêts à nous rendre service. Un autre marin, dans un petit canot, s'arrête à côté de nous et dit à Sylvia : "c'est rare qu'une jeune fille lave la coque d'un bateau, si j'avais un fils, j'irais sans hésiter voir ton père pour lui demander ta main".
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7 juillet
Aujourd'hui dimanche, les enfants ont reçu un cadeau; un grand saladier de groseilles à maquereau - elles présentent un dégradé de couleurs du vert clair, en passant par le jaune et le brun clair jusqu'à l'or. - un bouquet de persil était posé dessus, le tout embaume l'air d'une fraicheur de jardin ensoleillé.
8 juillet
Au cours de la nuit je me réveille, j'avais l'impression de manquer d'air. Dans un bateau, ce n’est pas comme dans une maison, l’air n'arrive que d’en haut puisque les couchettes sont en bas, et j'aime tant respirer l’air frais, un peu froid, pendant mon sommeil. Il faut d’abord s’habituer à l’idée que l’on ne peut pas ouvrir de fenêtre. En compensation nous sommes toute la journée sur le pont à l’air libre, s’il ne pleut pas.
Je monte l’échelle accédant sur le pont et je ne vois rien d’autre que du brouillard. Les lumières de la rue en face apparaissent dans un halo, rien d'étonnant que je suffoque. J'attends patiemment que le soleil se lève et chasse le brouillard, puis je décide de redescendre. A peine suis-je en bas, j’entends le moteur d’un bateau de pêche qui s’approche de plus en plus. De fortes voix d’hommes se font entendre et quelqu’un saute sur notre pont, puis un deuxième. Au choc je sais qu'ils s’amarrent à notre bateau. Ils courent excités de long en large et hurlent, d'autres leur répondent en hurlant de même. Lorsque l’on vient de la mer et que l’on amarre son bateau au quai ou à un autre bateau, on doit toujours faire attention à ne pas endommager son bateau ni celui de l'autre. Lorsqu’ils arrêtent le moteur, ils se parlent en breton. Pour moi il n'est plus question de dormir.
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Bientôt le jour se lève et ils nous expliquent qu’ils sont revenus de la pêche à trois heures du matin et qu’ils ne voyaient rien dans le brouillard à part un bateau blanc qui brillait (le nôtre), auquel ils se sont amarrés, et qu'ils avaient passé quatre jours en mer à pêcher le crabe.
Après que leur bateau se soit vidé de l’eau à marée basse, ils se mirent au travail. Nous les observions de près. A l'aide de filins, une caisse est remontée de la cale, puis vidée; des crabes et des araignées de mer grouillent sur le pont. Un marin les attrape : les crabes par leur corps et les araignées de mer par leurs pattes, et les empile soigneusement dans une caisse, toujours les pattes en dessous, les crabes côtes à côte, araignées côte à côte dans une autre caisse. Les crabes ressemblent à de gros cailloux de couleur brunes, si l'un d'eux essaie de bouger, il est remis immédiatement à sa place. Les araignées de mer ont de très belles couleurs dégradées de rouge à bleu. Ainsi sont remplies les caisses. L’homme saigne des mains et ne s’en préoccupe pas.
D’autres crustacés sont remontés de la cale. Ils ont de grandes antennes, un long corps et battent de la queue. Ce sont les langoustes tant appréciées. Quelques unes sont très grosses. Elles sont également empilées dans des caisses. Le reste des crustacés, de couleur bleu et noir, sont remontés de la cale, ils ont de grosses pinces et un corps très mince; ce sont des homards. Ils subissent le même sort que les autres, et toutes les caisses sont transportées à terre et chargées dans un fourgon.
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J’ai acheté deux crabes, plus une araignée de mer en cadeau de la part du patron. "Oui, me dit-il, nous sommes restés quatre jours au large de l’île de Sein. Nous avons placé nos nasses, chacune avec un morceau de viande dedans, une nuit au fond de la mer, le lendemain, elles étaient déjà pleines, les crabes sont très voraces. -- il me vient à l'esprit qu'en Allemagne on dit: "J’ai faim comme un crabe”. J’ignorais la provenance de cette expression, en vieillissant on comprend certaines choses de la vie. -- Il poursuit: "Nous pêchons au maximum en décembre et janvier, il y en a tellement qu’on ne peut tous les ramener ".
La dernière caisse est remontée et vidée sur le pont: chaque marin — ils sont sept — prend ce qui lui convient, plus ou moins de crabes ou d’araignées et le met dans un sac, pour leur mère ou pour leur femme, qui sait? Chacun jette son sac sur les épaules, et l'un après l'autre ils prennent le chemin de leur maison en passant par notre pont. Tout est de nouveau très calme.
11 juillet
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Aujourd’hui, c’est le jour de grande marée, donc le jour où nous partons. Tout est prêt. Nous remontons les lourdes béquilles en chêne, et la Perle des Vagues peut ainsi naviguer librement. Ray lance le moteur qui tourne au ralenti. Flore et Sylvia larguent les amarres et le bateau s'éloigne du quai. Nous contournons un dangereux banc de sable, et par une belle courbe nous atteignons l’autre côté du port. Ce quai est en réalité la rue principale d’Audierne. De nombreux curieux nous observent. Leur "Perle" n’a jamais été aussi belle à voir. Nous nous amarrons, et nous remplissons nos deux réservoirs d’eau potable. Le gasoil et tout ce dont nous avons besoin pour la nourriture sont déjà à bord et nous sommes prêts à prendre la mer, mais l’ex propriétaire du "Perle des Vagues" a téléphoné à un commerçant du port pour qu'il nous dise d'attendre, et que demain matin à 5 heures, il nous précédera avec son petit bateau de pêche, pour nous guider dans la sortie. Nous lui en sommes reconnaissants, il connaît très bien le port, et nous pourrions facilement nous échouer sur l'un banc des bancs de sable qui se forme de chaque coté du chenal. Encore une nuit de sommeil. Demain matin, le grand voyage commence.
EN MER
12 juillet
Comme convenu, l’homme est déjà là à 5 heures. Nous nous habillons hâtivement. Le moteur tourne. Pour la dernière fois, les amarres sont larguées. Adieu Audierne ! Tu dors encore, à ton réveil, "Perle des Vagues" ne sera plus là, le vaillant thonier qui fit la fierté de ton port durant vingt ans, que tu as toujours admiré, qui, malgré les tempêtes et les pêches jusqu’en Irlande, est toujours revenu indemne au port, vogue maintenant vers le sud et ne reviendra jamais. Fera-t-il la fierté d’un autre port ?
Les dernières maisons disparaissent. L’homme qui nous précède fait demi-tour et se dirige ver nous, et bord contre bord, nous le saluons d’une dernière poignée de mains en le remerciant cordialement. Il se dirige maintenant où il y a des poissons, et nous naviguons, seuls, en mer.
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Ray règle le compas. Je tiens la barre. La mer commence à s’agiter et se creuse. Je constate que malgré ma résistance, ma tête me fait mal jusqu’aux vertiges et que l’acide gastrique remonte. Nous n’avons pas encore mangé. Nous avons le mal de mer les unes après les autres, excepté Ray. Manger serait inutile, car nous ne garderions rien. Ainsi se passe la journée et la nuit du 12 juillet. Mer très agitée, vent fort.
13 juillet
Mer toujours agitée, vent fort, houle, moutons, pluie. Nous ne sommes pas montées sur le pont. Nous sommes dans nos couchettes, avec le bruit du moteur et son odeur nauséabonde que nous sentons au travers de la porte. Nous sommes comme en prison, à moitié conscientes et vomissant de la bile au moindre mouvement. A l’avant poste, nous ne pouvons pas dormir, car c’est là que nous sommes le plus secouées. La mer est en colère, les vagues frappent sur la coque et les embruns fouettent les vitres de la passerelle. Perle des Vagues, il est temps que tu fasses tes preuves.
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14 juillet
En vomissant de temps à autres nous nous habillons difficilement. Ne serait-il pas mieux de mourir ? "Il y a les vivants, les morts et ceux qui sont en mer". Ils ne sont ni morts, ni vivants, c'est ce que nous sommes présentement. Ainsi Dieu peut nous mener parfois en enfer, nous nous consolons en sachant qu’il nous en ressortira. "Dieu, soit miséricordieux envers nous! Fais que la mer se calme. Fais que le vent s'apaise. Tu es le Dieu du ciel, de la terre et de la mer ".
Flore, qui va mieux, m’apporte ce soir une tisane aux cynorrhodons. Depuis trois jours, nous n’avons rien mangé, ni bu. Un grand bateau nous croise, tous feux allumés, tel un château enchanté sorti de l’eau. Nous sommes le 14 juillet, la fête nationale française.
Ce matin, Ray se penche vers moi : "je te conseille d’aller sur le pont pour t’allonger sur la chaise-longue". Je m’allonge, je bois le reste de la tisane aux cynorrhodons, puis je mange des flocons d’avoine trempés dans du lait chocolaté. Le mal de mer est passé. Le ciel et la mer sont bleus, de nouveau la vie est belle. Béni sois-tu, Seigneur!
Un très beau et grand bateau de fret norvégien nous croise. "Ranhav Christensand" est son nom. Beaucoup d’autres, de formes et de nationalités différentes, nous ont croisés. Un bateau espagnol à vapeur passe, non loin de nous, il se nomme "Charlie". Une fumée noire s’échappe de sa cheminée. Agnès dit : "Regarde, les espagnols ont de drôles de bateaux".
Vers 14 heures, Ray prend les jumelles et scrute l’horizon à gauche, puis il dit "là, la terre ! "C’est l’Espagne. Nous sommes à la fin du Golfe de Gascogne et nous verrons probablement ce soir vers 21 heures, le phare du Cap Finisterre, après nous changerons de cap.
Pendant les trois jours de tempête la mer nous a prouvé que le "Perle des Vagues" n’a pas failli à sa réputation. Rien n’a été exagéré. On le sent au gouvernail, ce bateau résiste à la mer avec une grande souplesse.
Le crépuscule approche, au cours de l’après-midi, nous longeons les côtes espagnoles. C’est un spectacle très agréable que d’être en mer et de longer la côte. D’innombrables grands bateaux circulent ici, nombreux sont des pétroliers qui abondent en ces parages. Beaucoup laisse échapper une fumée noire. C’est étonnant, apparemment ce sont des bateaux à vapeur qui naviguent au charbon.
Nous attendons qu’il fasse nuit et que les espagnols allument leurs phares. Enfin apparaissent des lumières blanches sur une colline : 2 faisceaux alternant toutes les quinze secondes. C’est le puissant phare du Cap Villano que l'on peut reconnaître à quarante miles au large par temps clair.
Un peu plus loin, apparait subitement sur une haute colline, une forte lumière blanche qui clignote toutes les cinq secondes. C’est le Cap Finisterre, en latin " finis terrae " c'est-à-dire: la fin de la terre, le cap le plus à l’ouest de l’Espagne. Ray dit à Sylvia qui est à la barre : " cap 210 "; c’est le cap en direction des îles Canaries.
16 juillet
La mer a pris une couleur bleu foncé. Il ne fait ni chaud, ni froid. Nous avons parcouru soixante miles depuis hier. Nous sommes à la hauteur du Portugal. Plusieurs cargos nous croisent.
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17 juillet
Nous sommes toujours au large du Portugal. La mer est bleu foncé, le ciel bleu clair avec des nuages, vent fort. Un porte-container passe au loin. Nous sommes à hauteur de Lisbonne.
Si on s'assoit sur le pont et que l’on scrute l’horizon, en essayant de comparer la mer avec la terre, on ne voit de que de petites et grandes montagnes qui se repoussent et se permutent sans cesse. Leur couleur est d’un bleu profond avec des reflets verts sur les bords. Une mousse blanche pétille sur leur crête. Lorsque le soleil brille dessus, ces montagnes et ces collines d'eau se couvrent d’argent jusqu’à l’horizon. Trois mouettes tournent sans cesse autour du même endroit, plongent, tournent, replongent…
De jour, je n’ai pas peur, mais quand la nuit tombe et que je descends dans ma couchette, il m'arrive, parfois, d'avoir peur de la mer. Nous dormons dans le poste avant. Nous entendons la mer à l’extérieur. La houle heurte la coque et ma couchette ressemble à une balançoire. Oh, cette houle ! Elle nous a accompagnés depuis la Bretagne. On l’entend rouler de loin, il faut alors se tenir. Logiquement, il n’y a aucun danger. Les femmes sont-elles logiques ? D’horribles histoires et légendes que j'ai entendues ou que j'ai lues concernant la mer ressurgissent. "Seigneur, il est impossible que nous coulions, que les enfants coulent. Tu vis, c’est pourquoi nous vivons. Seigneur, libère-moi de ma peur !".
Qu’a dit l’homme la veille de notre départ ? "J’ai vu construire votre bateau, à peu près en même temps que le mien. Le chantier se nommait "Bolschewik", une construction légère avec peu de bois, un oiseau sur la mer ". Naguère je n’ai pas bien compris ce que cet homme a voulu me dire, car la construction navale est pour moi une chose inconnue. Maintenant, je comprends ce qu’il sous entendait: ce bateau fin et élégant ne peine pas dans le creux des vagues pour ressurgir brutalement, mais qu'il s’adapte à la houle, tel un oiseau sur la mer. C’est pourquoi le Seigneur a fait que nous achetions ce bateau, car il nous donne toujours ce qui est le meilleur pour nous. Il a transformé ma peur en un doux et agréable berceau.
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18 juillet
Depuis hier, nous avons parcouru 160 miles. Nous avons dépassé le Portugal, et nous sommes à hauteur de Gibraltar. Nous croisons de très près un cargo tout blanc avec une cheminée rouge. "Conoco Sopi" est son nom.
La mer s’est enfin calmée et il fait le plus beau temps qui se puisse faire.
Aujourd’hui nous sommes jeudi, et dans quatre jours, lundi, nous arriverons aux Iles Canaries. Si Dieu le veut et que nous vivions.
21 juillet
Nous sommes à quelques 10 miles des Iles Canaries, ce qui correspond à environ 20 heures de navigation. La nuit précédente, entre une heure et trois heures du matin, un épais brouillard couvrait la mer. On ne voyait rient à plus de dix mètres. Régulièrement, consciencieusement, nous avons soufflé dans la corne de brume. Aujourd’hui le temps est superbe, un merveilleux dimanche. Aux quatre points cardinaux, une mer calme jusqu’à l’horizon dans sa plus belle couleur, une lumière radieuse illumine un ciel sans nuage. Véritablement un jour du Seigneur ! " Tu as tout fait, Seigneur, à la perfection; ici, il n’y a pas le bruit du monde ni des villes surpeuplées, il n’y a que nous sur un bateau et les nombreux poissons dessous; au-dessus et à côté de nous, il n’y a que toi, Seigneur".
Deux des filles sont au pilotage et chantent une chanson. L’une est assise à la barre et l’autre à l'œil, c'est-à-dire qu'elle observe la mer. De douces mélodies nous charment l'âme. Pourrait-il en être autrement? Ne voguons-nous pas vers les îles des canaris, ces merveilleux oiseaux chanteurs? Beau temps, mer calme, demain matin nous accosterons à Las Palmas.
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LES ILES CANARIES
22 juillet
Le vent s’est levé subitement pendant la nuit. Notre petit bateau fut bien secoué. Ray s'oriente d'après le phare, et lorsque le jour se lève nous voyons la terre et les maisons. La première impression est décevante: de grands immeubles locatifs et en arrière plan une montagne dénudée.
Nous longeons la côte environ pendant une heure, partout la même tristesse.
A notre entrée dans le port, nous sommes désagréablement surpris par l’eau trouble et l’air nauséabond. Nous continuons jusqu’à un endroit calme sans ponton et nous jetons l’ancre non loin d’un yacht blanc. Son mât arrière arbore un drapeau suisse.
De loin comme de près, des immeubles aux pieds d’une montagne nue. Pas une seule tache verte, pas un arbre, sauf devant une maison, une paire de palmiers ont poussé là, solitaires. En poursuivant mes observations, je découvre un palmier solitaire dans une ruelle. La ville, qui est bâtie le long du port, se nomme La Luz. — la lumière -- Plus loin, elle se nomme Las Palmas. Les deux sont jumelées et couvrent une surface de neuf kilomètres de long et seulement deux à trois cent cinquante mètres de large. Lorsque l’on traverse cette bande - la ville est quasiment bâtie sur une presqu'île - on parvient à la plage, bordée d'hôtels, de parasols, de tables rondes, de chaises: de nombreux baigneurs et de joyeux touristes allemands.
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En hiver, nous dit un homme, ces montagnes arides sont en partie recouvertes de pieds de tomates. C’est la plus belle saison. Dans le port, les yachts sont les uns à côté des autres et les plages sont recouvertes de suédois et de norvégiens. Ils sont couchés l'un à côté de l'autre, pas même protégés d’un mouchoir et risquent d'attrapent de gravissimes insolations.
L’hiver est la saison idéale pour naviguer vers les Antilles. Actuellement, nous sommes en été, là-bas, c'est la saison des cyclones; c'est pourquoi les bateaux font escale aux Iles Canaries.
Nous sommes ancrés à La Luz, et pour un prix très bas, un bus nous emmène à Las Palmas. Le prix du ticket est le même, que le parcours soit court ou long. Il y a beaucoup de beaux magasins à Las Palmas, un immense supermarché et chaque matin, un marché couvert pour fruits et légumes. Les habitants parviennent à cultiver d'immenses champs de tomates et de bananes à l’intérieur de cette île sur les pentes asséchées du volcan. Apparemment, ils recouvrent le sol de pierres de lave, afin d’éviter le dessèchement de la terre. Ici, tout est bon marché; l’alimentation et les vêtements et autres accessoires sont à moitié prix, voir les deux tiers moins chers qu’en France. Dans la rue principale, parmi d’autres magasins, il y a de nombreux grands magasins de chaussures offrant un choix tel que je n’en ai jamais vu. De magnifiques chaussures d’été et des sandales de toutes couleurs et de toutes formes. Nous entrons dans un magasin pour acheter des sandales. Un homme entre subitement, et, indiquant les chaussures de Flore il dit qu’il veut les mêmes. Naturellement, il ne peut deviner qu’elles ont été achetées à Bruxelles. Nous ne parlons pas suffisamment l’espagnol pour le lui expliquer. Il reste là et attend, et, lorsqu’il remarque que personne ne se soucie de lui, il ressort aussi promptement qu’il est entré, en faisant flotter sa chevelure ondulée et en tournant plusieurs fois la tête pour regarder les chaussures convoitées. N’est-ce pas une drôle d’histoire de chaussures vécue dans un magasin à Las Palmas?
Nous remontons la rue en nous arrêtant devant de nombreuses vitrines, et nous arrivons sur une jolie place ombragée garnie de palmiers, de cactus et d’arbres d'une essence inconnue. De là nous prenons un bus pour retourner au port. Le bus passe par des rues pittoresques, de jolies maisons, des palmiers et des fleurs. Un cactus gigantesque atteint le premier étage d’une maison.
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Deux jeunes filles montent à l’arrêt; elles viennent de la plage et leurs longs cheveux sont encore mouillés. Elles s’assoient dans le coin tout au fond. Là, parlant sans cesse, elles se peignent. De jeunes hommes, en belles chemises bariolées, sont assis en face d’elles et les regardent.
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Il y a beaucoup de trafic dans le port. Je n’avais jamais vu un port aussi actif. Les bateaux circulent sans interruption, du petit bateau de pêche au grand bateau à vapeur. Le spectateur ne peut être frappé de monotonie. Une jeune personne qui rêve de bateaux, pourrait, à son gré, observer les allers et venues des bateaux durant toute la journée, et le soir, lorsque le port et les bateaux s'illuminent, que le phare scintille en haut sur la montagne, et que la mer reflète ces lumières, elle apprécierait cette féérie nocturne.
Ici, les bateaux de pêche se ressemblent tous, ils sont en acier, ont un aspect comique et sont moins austères que ceux d’Audierne, mais par contre moins propres.
Un énorme cargo accoste, sur sa gigantesque cheminée des tubes néon dessinent le marteau et de la faucille. Ce sigle brille si puissamment qu'on peut le voir de très loin; apparemment il ne doit pas passer inaperçu.
A peine sommes nous revenues à bord, qu’un bateau se dirige vers nous, le "Santa Luzia". Un gros homme est assis au poste de pilotage dont les deux portes de droite et de gauche sont grandes ouvertes. Lorsqu’il passe devant nous, nous le voyons de profil; son ventre forme une courbe et le coince entre la barre à roue et le dossier du siège. Une petite tablette de la dimension d'une assiette est fixée un peu à gauche et en avant de la barre; le patron est calé pour son voyage en mer. Sur le pont, les marins nous saluent amicalement, nous leur répondons de même. Nous ne nous ennuyons pas dans le port de La Luz.
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Monsieur R., qui est français et habite à douze km de Las Palmas, est venu à Las Palmas avec son bateau, et a vécu treize mois ancré dans ce port. Puis il l'a vendu à un américain. Il nous met en garde au sujet des Iles du Cap Vert: Il y a toujours beaucoup de vent, et du brouillard, nous dit-il, et certains petits navires se sont écrasés contre les rochers. Et "avant tout", insiste-t-il, n’arrivez pas de nuit, car les Portugais n’allument pas leurs phares.
Ray pense que c’est un itinéraire dangereux et qu’il serait peut-être mieux d’aller à Dakar, bien qu’il faille deux jours et demi de plus, mais c’est plus sûr.
Nous sommes le 2 août, c'est le jour de mon anniversaire, et j’attends quelque chose de spécial de notre Seigneur. L’après-midi, Michel, un homme dont nous avons fait la connaissance, monte à bord. Il a beaucoup navigué sur de voiliers à travers les océans. Parmi ses voyages il est allé, justement en Guyane, aux îles du Cap Vert et à Dakar. Lorsque nous lui faisons part de notre idée d'aller à Dakar, il nous dit : "Pour moi, c’est une erreur. Avec votre bateau, vous ne risquez absolument rien, et si vous allez à Dakar, c’est un détour de 450 miles, qui coûte beaucoup d’argent. Et tout ce que vous achèterez là-bas, vous le paierez deux ou trois fois plus cher qu’ici, car Dakar une ville parmi les plus chères du monde. De plus, la mer est propre dans le port de Porto Grande (Cap Vert) et vous serez tranquille, là-bas". Cela me réjouis grandement, car je crois que ce conseil est un cadeau de Dieu. Ray ne veux rien entendre, Dakar lui semble être la meilleure solution.
4 août
Nous décidons de poursuivre le voyage. La question se pose maintenant : Dakar ou les Iles du Cap Vert? Je ne désire pas influencer mon mari, le commandement du bateau lui appartient. Je ne peux que répondre à sa question: je ne ressens aucune joie d'aller à Dakar.
5 août
Aujourd’hui, nous quittons les Iles Canaries. Ray se rends pour la dernière fois en ville, pour acheter quelque chose d’important. Je lui dis : "Peut-être en chemin, sauras-tu avec certitude où nous devons aller". Il revient vers onze heures. "Oui, nous allons à Dakar". Nous faisons une prière. Ray dit : "Seigneur, nous nous sommes décidés d'aller à Dakar. Nous croyons que c’est ta volonté. Soit notre guide. Quoi qu’il advienne, nous sommes entre tes mains."
Nous tentons de lever l’ancre, aidées du treuil et malgré toutes nos forces, il est impossible de bouger la chaîne. L’ancre doit être coincée, peut-être dans un câble. Ray fait avancer le bateau, c’est ce qu’il fallait faire, car la chaîne remonte avec beaucoup de peine, et l’ancre arrive lentement. Lorsqu’elle émerge de l’eau, nous voyons avec étonnement que nous avons remonté une deuxième ancre avec elle. Voilà pourquoi il y avait tant de résistance.
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Midi, nous quittons le port et les Iles Canaries. A la sortie du port un remorqueur est en faction, un homme est sur le pont et un autre dans la passerelle, chacun a un mouchoir à la main et nous saluent sans cesse. Je salue avec la main, puis je salue de même avec un mouchoir, pensant que ce doit être la coutume en ce pays; saluer avec un mouchoir et essuyer discrètement une larme. Adieu Las Palmas ! Lentement, nous gagnons le large. Ciel bleu, mer bleue.
Nous nous dirigeons donc vers Dakar. Cette pensée m'attriste, j'essaie de me consoler, pensant qu'il est encore possible de modifier la route. Je fais confiance à Dieu. Pendant que je suis en pensées, Ray s’approche et dit simplement:
- Nous allons aux Iles du Cap Vert.
- Oui, pourquoi ?
- A cause de l’ancre que nous avons remontée. Ceci est un signe pour moi. La joie m'inonde le cœur, d'autant plus que sur toutes les cartes que j'ai expédiées de Las Palmas, je n’ai rien écrit de notre intention d'aller à Dakar.
Nous voyons la terre longtemps encore. Des mouettes nous accompagnent. Au coucher du le soleil, le ciel se colore d’un orange lumineux, mélangé avec un peu de violet. À notre droite, la montagne de presque 4.000 mètres d’altitude de l’Ile Ténériffe; c'est la dernière image de la terre. A notre gauche, la lune apparaît déjà dans le ciel et nous illumine de sa lumière argentée.
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7 août
Mer agitée, poissons volants de bâbord à tribord.
8 août
Nous sommes assises sous le tau noir que Ray a installé pour nous faire un peu d’ombre. Dans une heure, nous serons sous les tropiques, c’est-à-dire sous le Tropique du Cancer.
9 août
Hier, ainsi que ce matin, deux poissons volants gisent sur le pont. Ce sont de très bons poissons, c’est une grande joie qu’ils aient atterri sur notre pont. " Seigneur, je t’en prie, fait qu'il y en ait un pour chacun de nous ".
10 août
Ce matin, seize poissons volants sont sur le pont. Cela fait deux pour chacun. "Seigneur, est-ce possible? Eternel! Ta bonté atteint jusqu'aux cieux, ta fidélité jusqu'aux nues". Ps.36:5
Nous approchons des Iles du Cap Vert. Ray annonce: Dans huit heures, nous devrions voir la terre, vers deux heures du matin. A ce moment, Sylvia est à la barre, Lydia est en charge de la vigie. A une heure et demie, je me réveille et je réveille Ray, qui s'était endormi: tu avais dit que nous verrions la terre à deux heures. Il se lève aussitôt et va à l'avant. A peine a-t-il regardé qu'il annonce: la terre est en vue. Loin à l'horizon, une tache noire est visible tel un nuage. Normalement, nous devrions voir la lumière du phare; celle-ci n'a été visible qu'à quatre heures du matin, et tellement faible que les filles l'ont comparée à la lueur d'une bougie. Subitement, un vent fort se lève, Ray met le moteur au ralenti; nous attendons que le jour se lève.
Perle des Vagues à Audierne